Ésope, un esclave phrygien aussi laid qu’intelligent, passe pour l’inventeur de la fable. Il aurait vécu au VIIe-VIe siècle avant Jésus-Christ et aurait été tué par les habitants de Delphes qui, vexés de ses moqueries, l’auraient jeté dans un précipice.
À sa suite, nombreux sont les auteurs ayant écrit des fables. Le plus connu est peut-être Phèdre, un auteur latin né vers 15 avant Jésus-Christ. Au Moyen Âge, on appelle isopets (mot venant du nom d’Ésope) de petites fables s’inspirant généralement… de Phèdre. Voici la première strophe d’un isopet sur le Corbeau et le Renard :
Un Corbel si estoit
En un arbre et mangeoit
Un petitet froumage.
Renart l’a avisé
Qui tost fu apensé
De faire li damage.
Au XVIIe siècle, c’est une véritable mode, et de très nombreux auteurs en écrivent, dont Jean de La Fontaine.
Le mot « fable » vient du latin « fabula » et signifie « propos, récit imaginaire ». Celui qui raconte des fables s’appelle un fabuliste.
La fable est un genre essentiellement narratif. On y raconte toutes sortes d’histoires dont les personnages sont très souvent des animaux ou des insectes (Le Loup et l’Agneau, La Cigale et la fourmi), parfois des végétaux ou des objets (Le Chêne et le Roseau, Le Pot de terre et le Pot de fer), et quelque fois des hommes (Le Laboureur et ses Enfants). On y trouve aussi les dieux de l’antiquité romaine (Jupiter et le Métayer) et même la mort (La Mort et le Bûcheron).
Selon Jean de La Fontaine, on peut diviser la fable en deux parties. Le fabuliste compare ces deux parties au corps et à l’âme : le corps est l’histoire, l’âme est la moralité. L’une ne va pas sans l’autre : l’histoire permet de comprendre la moralité, et la moralité éclaire la fable. Parfois la morale de l’histoire est tellement évidente que Jean de La Fontaine ne l’écrit pas. C’est le cas dans La Cigale et la fourmi.
Comme chez les Anciens, les aventures racontées ont pour objectif de divertir (c’est-à-dire d’amuser), mais aussi d’instruire. C’est ce que dit La Fontaine au futur roi de France :
Je chante les Héros dont Ésope est le Père,
Troupe de qui l'Histoire, encor que mensongère (1),
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon Ouvrage, et même les Poissons :
Ce qu'ils disent s'adresse à tous tant que nous sommes.
Je me sers d'Animaux pour instruire les Hommes.
Par son langage généralement simple, la fable s’adresse tôt à l’enfant et l’habitue à la sagesse. Dans la préface des Fables, La Fontaine explique de quelle façon elle s’adresse aux enfants.
Dites à un enfant que Crassus, allant contre les Parthes, s’engagea dans leur pays sans considérer comment il en sortirait ; que cela le fit périr, lui et son armée, quelque effort qu’il fît pour se retirer. Dites au même enfant que le Renard et le Bouc descendirent au fond d’un puits pour y éteindre leur soif ; que le Renard en sortit s’étant servi des épaules et des cornes de son Camarade comme d’une échelle ; au contraire le Bouc y demeura pour n’avoir pas eu tant de prévoyance, et par conséquent il faut considérer en toute chose la fin.
Les fables sont des poèmes. La Fontaine s’est d’ailleurs efforcé de mettre en vers des textes en prose écrits par des auteurs grecs ou latins. Dans Contre ceux qui ont le goût difficile, il écrit :
Quand j’aurais en naissant reçu de Calliope (2)
Les dons qu’à ses amants cette Muse a promis,
Je les consacrerais aux mensonges d’Ésope :
Le Mensonge et les Vers de tout temps sont amis.
Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse (3)
Que de savoir orner toutes ces fictions.
On peut donner du lustre à leurs inventions :
On le peut, je l’essaie ; un plus savant le fasse.
Cependant jusqu’ici d’un langage nouveau
J’ai fait parler le Loup, et répondre l’Agneau.
Ainsi la Fontaine a consacré son talent à mettre les « mensonges d’Ésope » en vers, à leur « donner du lustre » et faire parler tout le bestiaire des fables « d’un langage nouveau ». Ce langage nouveau est la poésie de La Fontaine qui utilise différents vers, parfois deux (La Cigale et la fourmi est écrit en heptasyllabes et un trisyllabe), parfois trois (Le Corbeau et le Renard est écrit en octosyllabes, décasyllabes et alexandrins) ou quatre (Le Soleil et les Grenouilles est écrit en alexandrins, décasyllabes, octosyllabes et un heptasyllabe). C’est ce qu’on appelle des vers mêlés. Naturellement, la poésie ne se réduit pas au nombre de syllabes, mais cela est un autre sujet…
Notes :
1 - L’Histoire encor que mensongère : l’histoire est mensongère, car elle est imaginaire, inventée. C’est une fiction.
2 - Calliope : l’une des neuf muses. Elle incarne l’éloquence (le don de la parole, la facilité pour s’exprimer), la poésie.
3 - Parnasse : Montagne où résidait Apollon et les neuf muses.